J’ai décidé, en qualité d’ancien Vice-président du Groupe d’amitié entre la France et la République Démocratique du Congo, de publier cet article signé par Emmanuelle Bouquillon, ancien députée-maire de Soissons. La situation de la RDC justifie, en effet, que le Président Hollande prenne la décision courageuse de boycotter le sommet de la Francophonie à Kinshasa.
« La rumeur courait depuis quelques semaines déjà dans les milieux concernés. Dimanche 27 juillet, dans un article publié dans le Journal du dimanche (JDD), un journaliste atteste que Paris laisse planer la menace d’un boycott par le président français du sommet de la francophonie prévu en octobre prochain à Kinshasa, capitale de la république démocratique du Congo (RDC).
« Depuis son arrivée à l’Elysée en mai dernier, c’est la première fois que le chef de l’Etat français déclinerait une invitation à une réunion internationale. Mais surtout, jamais, auparavant, un président de la République française n’a manqué délibérément les grandes assises de la francophonie qui réunissent régulièrement les plus hautes autorités des pays qui ont en commun l’usage de la langue française, et dont le but est d’agir pour sa défense dans le monde tant au niveau culturel qu’économique. Cette décision serait un coup d’éclat international, affirme le journaliste.
« Pourquoi donc le président du pays abritant le berceau originel de la langue française refuserait-il sa participation aux côtés de tous les autres Chefs d’Etat des pays amis avec qui ont été noués des liens d’amitiés allant jusqu’à partager non seulement la même langue, sinon à tenir le même langage sur de nombreux dossiers internationaux, mais aussi une même culture et de nombreux échanges ? La question se pose d’autant plus que, cette année, ce sommet doit se tenir dans le plus grand et le plus peuplé des pays francophones.
« La diaspora congolaise en France possède quelques réponses à ces interrogations. Tout d’abord, elle se félicite de cette prise de position française, sans précédent. Ce qui tend à prouver que François Hollande, aujourd’hui le seul parmi ses pairs avec le premier ministre belge, a pris la mesure des événements qui perdurent et a admis l’ampleur de la tragédie qui se déroule au Congo depuis 1998.
En effet, pour la diaspora congolaise, la guerre entre Tutsis et Hutus rwandais d’avril 1994, avec son flot de massacres qui ont tant ému l’opinion publique internationale, ne s’est jamais arrêtée. Pire, elle s’est même étendue et amplifiée en débordant sur tout le territoire congolais. Aujourd’hui, force est de constater que personne n’en parle et que tous semblent l’ignorer.
« Il convient en outre de rappeler ici avec les Congolais de France qu’en mars 2010, dans une pétition publiée par le quotidien britannique « The Guardian », un comité de 52 rabbins comparait le génocide actuel au Congo à l’holocauste des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. Dans le même document, les pétitionnaires ont avancé le chiffre de 45.000 morts par mois. On peut ajouter que huit ans plus tôt le « Human Watch Rights » (HWR) estimait à 1.303 morts le bilan quotidien de ces massacres. De son côté l’ « International Rescue comitee » (IRC), en 2011, estimait à un toutes les 48 minutes le chiffre des viols ou des mutilations sexuelles au Congo.
De nombreux Congolais de France se demandent à présent si la communauté internationale n’a pas pensé trop longtemps que le seul fait de l’instauration de la démocratie pouvait mettre fin à cette tragédie ? Elle a ainsi financé une période de transition longue de 4 ans qui, commencée en 2002 avec la signature des accords du dialogue inter congolais de Sun-City, en Afrique du sud, s’acheva en 2006 avec la tenue d’élections législatives et présidentielle également prises en charge par elle.
« Hélas ! Les résultats des scrutins de 2006 furent fortement entachés de soupçons de fraudes tandis que, dès 2007, de nouvelles milices armées apparaissaient à l’est du pays, suivies de campagnes d’épuration ethnique qui jetèrent dans des camps de réfugiés plus de 2 millions de personnes.
« Les élections suivantes, organisées en novembre 2011, furent également truquées et, malgré les fraudes massives avérées, la communauté internationale a gardé un silence pour le moins troublant. Simultanément, les milices armées s’enhardissaient, s’emparant coup sur coup de plusieurs territoires frontaliers du Rwanda, toujours dans l’indifférence générale du reste du monde.
« Ainsi, la mise en place d’une démocratie, qui s’est finalement révélée n’être qu’un simulacre et une chimère, n’a pas atteint ses objectifs alors que le peuple congolais continue de souffrir chaque jour davantage, rongé par un sentiment grandissant de désespoir face à l’escalade de la terreur qui rythme la vie quotidienne de tous. L’existence est devenue d’autant plus insupportable aux Congolais que leur tragédie se déroule dans un silence inexplicable du monde extérieur.
« Le président Français serait-il le seul à ne pas être aphone, aveugle ou autiste face à la tragédie congolaise ? Ou alors la richesse non égalée du Congo – or, diamant, cobalt, pétrole, uranium…-, est-elle la cause du mutisme international ?
« Il faut dire que depuis 2002, le sous-sol du Congo est livré au pillage systématique des grandes sociétés internationales. Pour ne prendre qu’un exemple : 85% des réserves africaines connues de colombo-tantalite, le coltan, sans lequel ne pourraient être fabriqués ordinateurs, téléphones mobiles, satellites… sont localisés au Congo.
« Pire, ce minerai est exploité par des enfants qui creusent à longueur de journée au fond de puits de fortune, ou plutôt d’infortune. En outre, le coltan congolais contient, à des pourcentages variables, un sous-produit uranifère qui attise la convoitise de certaines nations cherchant à se doter de l’arme atomique. Du reste, régulièrement, de gros tonnages sont saisis dans les aéroports ou les postes douaniers des pays voisins. Mais combien d’autres cargaisons de coltan parviennent à destination, en toute illégalité ?
« Aujourd’hui, la diaspora congolaise en France appelle à une prise de conscience objective du drame vécu par les Congolais depuis 1998. Pour elle, il ne fait désormais plus de doute que la chape de plomb qui dissimule la réalité, étouffe la souffrance de tout un peuple et favorise la corruption du régime en place a fini par paralyser la démocratie tant attendue. Le moment est venu de faire exploser l’énorme et lourde dalle pour, enfin, laisser place à une nouvelle gouvernance.
« A ce titre, les Congolais de France renouvellent leurs remerciements au Président français pour avoir envoyé la Ministre de la francophonie au Congo, afin de prendre la mesure de la situation et de lui remettre un rapport d’ici au 31 juillet. Ils appellent les autres chefs d’Etat francophones au « boycott » du prochain grand rendez-vous de la francophonie à Kinshasa. C’est pourquoi, ils saluent l’idée de plus en plus répandue du transfert à l’île Maurice du sommet prévu en octobre prochain. Pour les membres de la communauté congolaise de France, une telle délocalisation apporterait la preuve d’une réelle prise de conscience, à l’échelle mondiale, de la réalité du génocide perpétré au Congo et un espoir pour sa population.
« Enfin, le collectif des Congolais de France appelle également les médias à relayer les appels étouffés de leurs compatriotes, restés au pays, en faveur de la paix, de la justice et de la vraie démocratie. Cette communauté se dit persuadée que si le silence, le mutisme et la cécité perdurent, une nouvelle guerre, cette fois-ci généralisée, risque fort de voir le jour et d’embraser le pays avant la fin de l’été ».